Depuis toute gamine, j’aime les vaches, leurs prunelles de velours, leurs longs cils soyeux, leur gambades non dénuées d’une certaine grâce, malgré une apparente lourdeur…
Sauf pour les éleveurs, si les bovins sont une espèce dont on sait qu’ils produisent du lait et de la viande, on ignore quasi tout des subtilités de leur comportement.
Les bovins sont des animaux grégaires : ils vivent et se déplacent en groupe. Or, pour que la vie du troupeau soit harmonieuse, les relations entre animaux doivent être claires et stables, afin d’éviter des conflits quotidiens. Les groupes de bovins ont ainsi une organisation hiérarchique qui a des conséquences sur l’accès aux ressources alimentaires, les déplacements, etc.
La dominance
On parle de dominance quand un animal peut « inhiber » le comportement d’un autre, plus précisément quand il a la priorité sur d’autres concernant certaines ressources, qu’il peut attaquer sans être attaqué lui-même et qu’il induit des réactions d’évitement sans agression apparente.
Ces relations de dominance permettent de réguler pacifiquement la compétition pour l’accès à une ressource limitée, en particulier l’espace et la nourriture.
Les affrontements directs sont remplacés par des attitudes de dominance ou de soumission. Ainsi, les relations entre les femelles adultes sont extrêmement stables et persistent pendant plusieurs années, voire toute la vie.
Tous les individus ont un rang bien déterminé dans leur groupe social et se « classent » du plus dominant au plus dominé, selon des critères précis : l’âge, le poids et le gabarit, l’aspect physique (présence ou absence de cornes), l’expérience sociale, la réactivité émotionnelle… Et il existe un ordre dans l’importance de ces critères.
L’âge
Les plus jeunes se soumettent aux plus âgés. C’est logique…ils ont encore tout à apprendre et savent bien qu’une remise à leur juste place par un aîné, ça peut faire très mal !
Les vaches, elles aussi, traversent une crise d’adolescence à la puberté.
A l’instar des humains, les vaches traversent une période d’instabilité émotionnelle à la puberté. C’est ce qu’a révélé une étude canadienne publiée dans la revue The Royal Society Publishing [1]. Les scientifiques expliquent que les vaches sont moins cohérentes à la puberté parce que les changements morphologiques, physiologiques et métaboliques s’accélèrent durant cette période d’adolescence. Autrement dit, les veaux grandissent et produisent des hormones qui les rendent inconsciemment plus intrépides et plus agressifs.
Le poids et l’aspect physique
Le poids est moins important que le port de cornes au moment de l’établissement de la hiérarchie.
La présence ou l’absence de cornes a peu d’importance par la suite. Ainsi, contrairement à l’idée répandue, l’écornage des vaches n’entraîne pas de modifications importantes dans la hiérarchie du troupeau. L’écornage ne résout donc pas forcément les problèmes dus à la dominance.
L’expérience sociale
Plus un animal a une expérience sociale importante, plus il a de chances d’avoir une position élevée dans la hiérarchie. Ainsi, les veaux élevés en groupe – et donc qui ont vécu davantage d’interactions avec leurs congénères – auront plutôt des positions de dominants à l’âge adulte par rapport à des animaux élevés en logements individuels.
La position sociale est déterminante.
La réactivité émotionnelle
Plus les animaux ont peur de leurs congénères et sont réactifs, plus ils risquent d’être dominés.
Lorsqu’on regroupe deux troupeaux qui ne se sont jamais rencontrés auparavant, la hiérarchie s’établit rapidement. En général, la quasi-totalité des relations est établie en moins d’une heure ! Dans environ un tiers des cas on observe des combats pour la mise en place de la hiérarchie… mais 80% d’entre eux durent moins d’une minute.
On peut observer différentes « menaces » plus ou moins complexes ou ritualisées, allant du simple mouvement de balancement à des comportements plus complexes.
Une menace peut être suivie de coups si l’animal menacé est lent à se soumettre ou ne remarque pas la menace. Mais dans les groupes bien établis, la moindre menace du dominant entraîne une retraite du dominé (qui s’éloigne de quelques pas) ou une posture de soumission. Le simple fait de détourner la tête peut déjà suffire à arrêter l’agresseur [2].
Leadership vs. dominance
Leleadership est défini comme la capacité d’un animal à influencer le mouvement et les activités du groupe dont il est membre. L’animal leader est celui qui initie le mouvement du groupe. Tous les troupeaux fonctionnent avec un système d’animaux « leaders » et « suiveurs ».
Mais un animal leader n’est pas forcément un animal dominant. Il s’agit en général d’un animal de rang intermédiaire, mais qui réagit plus rapidement aux changements de l’environnement et stimule le groupe.
Lors des déplacements du troupeau, l’ordre dans lequel les animaux se déplacent est souvent constant : ce sont toujours les mêmes animaux qui sont en tête et les mêmes qui suivent ou sont en queue.
Regardez cette vidéo qui illustre parfaitement mes propos
Le leadership peut s’exprimer dans trois situations :
- La mise en mouvement du groupe : un animal est à l’origine du déplacement, par exemple d’une zone de pâture à une zone de repos ou vers la salle de traite. Le leader sera à la tête du troupeau lors du déplacement.
- L’initiation de l’activité du groupe : le leader initie une activité, par exemple pâturer, se reposer…
- La direction du pâturage : un ou plusieurs leaders sont à l’origine d’un changement de direction lors des activités de pâturage.
La communication entre bovins : vue et odorat
Le maintien d’une hiérarchie stable nécessite une reconnaissance individuelle entre les animaux et celle-ci passe par la vue et l’odorat.
La vue : la musculature faciale des bovins est très peu développée et ne leur permet donc pas d’exprimer leurs humeurs par des mimiques. La communication visuelle s’effectue donc par le langage corporel : position de la tête et des oreilles, position et mouvements de la queue…
Les odeurs permettent aux membres du troupeau de se reconnaître mais peuvent aussi renseigner un animal sur les émotions de ses congénères. Ainsi, le stress ou la peur entraîne des réactions physiologiques hormonales (sécrétion d’adrénaline) qui induisent une modification de l’odeur. Par exemple, l’odeur de l’urine d’un congénère stressé modifie le comportement d’un animal.
Cependant, étonnamment, les relations de dominance sont maintenues chez des animaux aveugles ou ayant perdu l’odorat.
Après avoir observé un troupeau bovin, vous trouverez certainement – tout comme moi – qu’il est très injuste de décrire un benêt en disant qu’il est « comme une vache qui regarde passer un train ». Quant à savoir si
les vaches regardent vraiment passer les trains
Sonia Martin est naturopathe pour animaux. Elle est la fondatrice de l’École Suisse de Naturopathie pour Animaux.
[1] https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsos.191849
[2] Marie-France Bouissou, Y. Vaslet, Non Renseigné. OBSERVATIONS SUR LA HIÉRARCHIE SOCIALE CHEZ LES BOVINS DOMESTIQUES. Annales de biologie animale, biochimie, biophysique, 1965, 5 (3), pp.327-339. hal-00896294