Sorti en septembre 1980, Enola gay est encore sur toutes les ondes de la FM au printemps 1981. La raison est simple: en ces early eighties titubantes, le synthétiseur s’est fait une place dans les tubes pop et disco, mais personne n’est parvenu à obtenir un tel son. La preuve : 40 ans plus tard, Enola Gay reste un tube à la fois moderne et mélancolique. Et c’est là que réside sa force.
Orchestral Manoeuvres in the Dark (OMD)
Les fondateurs du groupe, Andy McCluskey (chant, basse et guitare) et Paul Humphreys (chant et clavier) se rencontrent à l’école primaire dans les années 50. Ils oeuvrent dans plusieurs groupes (Equinox, Hitlerz Underpantz), chacun de leur côté pour finalement fonder Orchestral Manoeuvres in the Dark (OMD) en 1978. Leur but: faire de la musique électronique. Ils sont rapidement rejoints par Malcolm Holmes (batterie) et Martin Cooper (saxophone et claviers).
Après Electricity, un premier single kraftwerkien paru en 1979, Orchestral Manoeuvres in the Dark revient en force avec une bombe musicale nommée:
Enola Gay
Ça commence avec une boîte à rythme. Un son unique et immédiatement identifiable. Ensuite, un orgue bidouillé entame un arpège lancinant, soutenu par une basse tonique. Et puis, c’est l’explosion: 3mn24 de pur son, un timbre de voix so british et une mélodie au synthétiseur qu’on n’oubliera jamais.
Quarante années plus tard, la lady n’a pas pris une ride. C’est ça la magie de la musique: une trace intemporelle qui, même si elle s’éloigne un peu chaque jour, reste effrontément actuelle. Enola Gay caracolera en bonne position dans les charts britanniques et internationaux.
Un texte à double-sens?
6 août 1945, 8h15 (Pacific time)
Vers deux heures du matin, un bombardier Boeing B29 Superfortress décolle de North Field dans les îles Marianne, à environ six heures de vol du Japon. Aux commandes, le colonel Paul Tibbets. Il a baptisé l’appareil Enola Gay en hommage à sa mère: Enola Gay Tibbets. C’est elle qui l’a soutenu lorsqu’il a quitté une carrière médicale pour combattre sous la bannière étoilée.
À 8h15 précises (Pacific time), Enola Gay largue la première bombe atomique sur la ville d’Hiroshima, au Japon, et change à tout jamais le cours de la guerre… et de l’histoire. L’humanité a perdu encore un peu d’innocence. Une fois la tragique mission accomplie, l’oiseau rejoint son nid.
On retrouve dans le titre d’OMD de nombreuses allusions à ce tragique épisode:
It’s 8:15 and that’s the time that it’s always been
We got your message on the radio,
conditions normal, and you’re coming home
Si l’avion s’appelle Enola Gay, la bombe a été baptisée Little Boy : la mère, le petit garçon et le baiser mortel.
Enola Gay
Is mother proud of little boy today?
Ah-ha this kiss you give
It’s never ever gonna fade away
Enola, gay ?
Dans les années 80, la BBC a retiré Enola Gay d’une émission pour enfants en prétextant que les paroles pouvaient évoquer le coming-out des deux membres fondateurs. Sur quels éléments concrets cette décision se fonde-t-elle? Difficile de juger car, en dehors du terme « Gay », on est très loin de Smalltown boy de Bronski Beat, par exemple. Toujours est-il que la rumeur persiste parfois au détour d’une chronique musicale.
Le clip
Les nuages défilent en accéléré sur une mer scintillante. Un synthétiseur se fond dans le décor en incrustations psychédéliques puis, Andy McCluskey apparaît en chemise blanche et cravate, style british school. Le ciel reste omniprésent en arrière-plan puis il s’obscurcit, jusqu’à ce qu’on ne distingue plus les cumulus du champignon atomique.
Épilogue
Enola Gay est une bombe atomique dans la frénésie des early eighties. Inattendue, la déflagration balaie tout sur son passage.
À la fois directe et pénétrante, l’énergie d’Enola Gay porte dans ses notes une amertume surannée. Elle scande une mélancolie assumée avec, peut-être, la certitude étiolée que nous ne sommes que des grains de poussière dans le vent… un vent chargé de radium.
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