Je n’ai rien vu venir. Rien senti. J’étais trop occupé à tenter de recoller les pièces de ma vie, à courir après des rêves qui me fuyaient, à me voir endosser tous les matins un costume qui ne m’allait plus, à esquisser un sourire quand le fond de l’âme ressemble aux abysses, à vouloir être un autre. Le regard et l’attention focalisés sur mon nombril, je n’ai pas vu le temps passer, l’amour s’évaporer, les amis s’éloigner, la brume se dissiper, un autre jour se lever.
Faire semblant. D’être heureux. De s’amuser. De s’intéresser. D’apprécier. D’aimer. Oublier jusqu’à ses désirs, ses rêves. Annihiler sa personnalité au profit d’un masque de cire, figé dans un quotidien immuable et insipide avec, quelquefois, un soubresaut d’attention qui s’étiole très vite dans les banalités politiquement correctes. Et puis l’ennui. Sournois et discret, il s’immisce pour atteindre le nerf vital… Et tout s’effondre.
Courir pour ne pas chanceler et tomber. Courir après le temps qui s’enfuit, lui qui nous laisse avec le sentiment d’être toujours à la traîne…
Courir à en perdre haleine… et la santé. Un jour. Bannir la joie de contempler, le plaisir de s’arrêter. Enfin.
Vouloir atteindre les cent ciels et oublier l’essentiel.
J’ai regardé les fragments de ma vie éparpillées sur l’asphalte. Une légère brise s’est levée et ils ont commencé à virevolter. J’aurais pu les rattraper, aux moins quelques uns, pour garder un souvenir, une photo, un parfum. Mais je n’ai pas bougé. Je les ai laissés s’envoler. Pendant quelques minutes, je suis resté à les observer reprendre leur liberté. Puis, j’ai ressenti un immense soulagement. Un poids énorme qui, en l’espace d’un soupir, m’a libéré. Puis, portés par le « wind of change », ils ont disparu.
Alors, la vie a commencé.
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