Le maître des vents océaniques
Par Comte de Grandvaux
Il y a quelque temps, je vous ai présenté un bien piètre aviateur. Peu après, je vous ai parlé d’un autre drôle d’oiseau. Proche cousin de l’autruche et de l’émeu, le casoar, lui, est tout à fait incapable de voler. Contrairement à notre éditeur qui est plutôt « félidé », moi, ce sont les grands oiseaux qui m’intéressent. Prochainement, alors que j’ai revu mon ami Claude Moreillon (cf. https://decouvertemag.com/la-vie-sauvage-beaute-et-fragilite/), lui et moi, vous parlerons de ceux qui planent dans nos alpes. Mon Dieu que le monde est petit lorsqu’on voyage. Aujourd’hui, je vous présente le maître absolu des vents océaniques. Et, lui, c’est vraiment un grand voyageur.
Regardez l’albatros hurleur:
L’un des plus grands oiseaux du monde
Regardez la première image ou la vidéo ci-dessus. Que remarquez-vous d’emblée? Ses très longues ailes étroites avec des rémiges bordées de noir! En zoologie, on appelle rémiges les grandes plumes ou pennes des ailes des oiseaux. Ces plumes sont dirigées vers l’extérieur et l’arrière de l’aile. Elles se recouvrent pour former un plan presque continu. Le plumage varie évidemment avec l’âge. Les jeunes oiseaux sont complètement bruns, à l’exception toutefois du dessus des ailes qui est noirâtre. A chaque mue, le jeune oiseau devient de plus en plus blanc. La face, elle, est blanche. Le dessous des ailes est blanc. Le plumage adulte s’acquière très lentement. Les scientifiques parlent ici de 20 à 30 ans3. L’albatros a aussi une très courte queue. Ses ailes ont une envergure pouvant aller jusqu’à 3m50. Il pèse jusqu’à 12 kilos. Son nom scientifique est Diomedea exulans. Exulans signifie exilé. En fait, c’est une sorte de vagabond errant. Pourquoi le nomme-t-on également hurleur? Parce qu’il vocalise en hurlant pour tenter de gagner les faveurs d’une femelle. Remarquez qu’il peut tout aussi bien hurler pour défendre son nid. Ses immenses ailes lui permettent de planer sur plusieurs centaines de kilomètres. Le plus étonnant c’est qu’il n’a même pas besoin de battre une seule fois des ailes. Sur les 10 000 espèces d’oiseaux recensées dans le monde, 305 sont des oiseaux marins. Selon les scientifiques qui se penchent ou se sont penchés sur l’oiseau….. il y en aurait entre vingt-deux et une bonne trentaine d’espèces d’albatros.
Voyons d’abord les courants marins
Pour bien saisir comment un albatros vole, il est également indispensable de comprendre comment fonctionnent les courants marins. Saviez-vous, par exemple, qu’une goute d’eau met environ 1000 ans (!) pour faire le tour du monde?
Cela dit, la formation des courant marins de surface dépendent essentiellement de deux facteurs. A savoir du vent et de la rotation de la Terre. Ces courants suivent en effet la trajectoire des vents qui entraîne un mouvement de l’eau. Seulement voilà – et on n’y pense pas souvent –, le vent n’est pas le seul et unique à générer les courants en surface. En effet, la force de Coriolis[1] (force exercée par la rotation de notre planète bleue) dévie la direction des vents et des courants.[2]
Un pilote de ligne hors pair
Sans même donner un seul coup d’aile, l’albatros zigzague à contrevent pour atteindre en un point où la direction du vent ne permet pas d’arriver directement. De fait, il vole du sommet d’une vague à l’autre. C’est ce que l’on appelle un vol plané dynamique. Il exploite les courants ascendants du vent soufflant à travers les vagues et la houle en utilisant cette force précisément pour prendre de la hauteur. Lorsqu’il aura jugé la hauteur convenable, il redescendra en vol plané dynamique[3] . Par exemple, en quête de nourriture, l’albatros hurleur accomplit des voyages sur des distances comprises entre 3’600 et 15 000 km (!). Il est capable de voler jusqu’à 900 km par jour, à des vitesses allant jusqu’à 80 km/h. Avec des vents favorables, il vole sans avoir besoin de battre des ailes ainsi que l’indique sa fréquence cardiaque similaire à celle en repos. Comment ce prince des nues réalise-t-il des telles performances? Vous aurez une réponse scientifique en consultant le site que voici : https://tourduvalat.org/agenda/seminaire-mercredi-6-juillet-2016-comprendre-la-dynamique-de-vol-plane-chez-les-procellariiformes/
L’albatros hurleur utilise la grande surface portante de ses ailes pour planer sans effort sur le vent, même lorsque ce dernier dépasse les 160 km/h. Les albatros sont pourvus de tendons. Ces tendons servent à bloquer les articulations de leurs ailes. Et pourquoi ca? Parce que cela leur permet d’économiser leur énergie et de planer longtemps. Ils peuvent ainsi voler fort loin.[4]
Selon des scientifiques, un oiseau muni d’un appareil sophistiqué ultraléger qui lui a été attelé aurait parcouru 6 000 km en 12 jours5. En revanche, si c’est un pilote de ligne émérite, c’est un nageur et un plongeur très médiocre et fort peu téméraire. Ses plongées sont courtes et peu profondes.
La menace qui plane sur ces oiseaux
Charles Baudelaire avait-il une prémonition lorsqu’il composa le voyageur ailé?
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.[5]
A son époque pourtant, ces oiseaux ne risquaient pas de se faire autant exterminer comme de nos jours. Aujourd’hui, ces grands oiseaux figurent parmi les volatiles les plus menacés, surtout du fait de leurs interactions avec les pêcheries palangrières. On appelle palengre ou palengrier, l’engin de capture se composant d’une ligne principale (grosse corde, filin d’acier ou de nylon) sur laquelle sont montés des avançons avec des hameçons appâtés. Il existe des palangres calées ou dérivantes et des palangres de fond ou flottantes. Les bateaux pêchant à la palangre sont appelés « palangriers »[6].
Alors la menace la plus graves pour l’albatros hurleur comme pour toutes les espèces d’albatros du reste, c’est qu’en se consacrant à la quête de nourriture pour lui et ses petits, l’irrésistible appât le fait plonger et, une fois dans la mer, les hameçons le blessent souvent mortellement. Ou bien il se noie emberlificoté dans les hameçons. Certes, la biodiversité est en perpétuelle évolution. Certaines espèces disparaissent d’une manière naturelle. Et d’autres apparaissent tout autant naturellement. Il est tout à fait vrai que l’action des humains perturbe ce processus biologique. Malheureusement, trop souvent, l’homme prélève de certains écosystèmes plus que ce que ces derniers sont capables de produire. D’où épuisement de la ressource. Tout cela concourt à un appauvrissement de la biodiversité.[7] Notre civilisation perturbe hélas aussi les écosystèmes en modifiant de nombreux habitats. Elle pollue l’océan avec des matières plastiques, tant et si bien que l’on parle du 7e continent qui est un monstre de plastique.
Regardez: https://information.tv5monde.com/info/le-7eme-continent-un-monstre-de-plastique-1863
Récemment, je racontais à Meryl Moser, notre chroniqueuse du 7e art, que j’allais dédier un long article à l’albatros. A l’évocation de ce nom d’oiseau, elle me dit qu’elle avait été très sensible à la réalisation du film de Xavier Beauvois sorti en salle en novembre 2021 avec comme acteur principal Jérémie Renier. « Le film Albatros est très émouvant,», me dit-elle, car il esquisse deux destins fracassés sur le fond d’une détresse sociale de la paysannerie française. Il raconte l’histoire de Laurent, un commandant de gendarmerie, voulant sauver un agriculteur d’un suicide, le tue par accident. Aussi, cet accident fait-il exploser ses idéaux. Et du coup, ce commandant doit se remettre complètement en question ».
Regardez https://www.youtube.com/watch?v=MnqL16G6SDg
«Meryl, quel est le rapport avec un albatros?», lui dis-je voulant savoir. «A-t-on apprivoisé un albatros pour y tenir un rôle?» (Eclat de rire cristallin de Meryl Moser). « Mais non, voyons. Le titre du film Albatros se réfère tout simplement à un trésor familial. C’est la maquette d’un voilier sur lequel le papa et le grand-père de Laurent naviguaient dans la région.» Une fois de plus, Meryl m’avait démontré son immense savoir sur les arcanes du 7e art.
Ainsi, le nom de l’oiseau marin n’est pas seulement l’emblème de la poésie, mais aussi celui que les hommes ont donné à leurs constructions navales et aéronautiques[8].
Regardez: https://www.youtube.com/watch?v=Rq2poT9pW3w
Pour en savoir plus sur l’albatros :
https://www.wwf.ch/fr/especes/lalbatros-prince-des-nuees
https://www.oiseaux.net/oiseaux/albatros.royal.html
[1] https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/meteorologie-force-coriolis-3621/
[2] https://www.oceanclock.com/fr/blog/13-les-secrets-des-courants-marins
[3] http://shearwater.nl/seabird-osteology/REFERENCES/Pennycuick_PhilTransRSocLondon1982.pdf
[4] https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2013/03/06/voler-lalbatros
[5] C’est le premier quatrain en alexandrins à rimes croisées, alternativement féminines et masculines du poème de Charles Baudelaire consacré à l’albatros
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[6] https://wwz.ifremer.fr/peche/Glossaire/Glossaire/Palangre.-palangrier
[7] https://wwz.ifremer.fr/peche/Les-grands-defis/Les-priorites/Biodiversite
[8] http://www.arcinfo.ch/economie/entreprises-innovation/inspire-des-ailes-de-l-albatros-un-avion-d-airbus-limite-les-effets-des-turbulences-858208